Every day is a good day !
Heikiganroku, 6
par Gilles Poulain
Quel beau koan ! quel bel objectif !… si facile à dire … si difficile à incarner vraiment … si l’on ne veut pas se mentir, si, au delà des moments heureux de convivialité des stages on cherche à changer son regard sur son quotidien voire à le changer !
Reste alors à « devenir l’océan » comme le dit Léonard Cohen qui, il faut le rappeler a été moine zen pendant 5 ans : « Si vous ne devenez pas l’océan, vous aurez le mal de mer tous les jours ». Telle est donc l’ambition radicale de la méditation zen telle que je la conçois. Elle guide à la fois mon enseignement et l’esprit de ce lieu que j’ai créé pour que des maîtres puissent y enseigner.
J’ai donc créé le Centre du Moulin de Vaux en 1976 pour y affirmer, à la manière hippie, une certaine manière d’être au monde et de l’habiter. Très influencé par la contre-culture américaine de par mes études et mes voyages, par les idées de l’époque revenues récemment au goût du jour, « small is beautiful », « the global village », « do it ! » ainsi que par les communautés spirituelles que j’y ai cotoyé j’ai voulu voir s’il m’était possible à mon échelle, avec les ressources que j’avais, de créer un environnement harmonieux, sensible, qui aurait aussi une empreinte positive sur l’environnement plus global et qui permettrait d’y accueillir de petits groupes en quête de sagesse. Ces choix d’écologie, de taille modeste, d’effacement imprégné de l’idéal taoïste du sage qui ne laisse pas de trace ont dicté beaucoup de mes décisions.
Ce lieu est devenu un Centre Zen dans les années 80 sous l’impulsion de Jacques Brosse, naturaliste, écrivain et grand érudit et Maître Zen. Il a accueilli depuis de nombreuses années et accueille encore aujourd’hui beaucoup d’autres maîtres et pratiquants du dharma.
Quant à moi je suis attaché au message initial du Bouddha et à celui des maîtres iconoclastes du Tchan chinois. Je m’attache à conjuguer la tradition zen avec la laïcité, le sérieux avec la légèreté, l’épanouissement personnel avec l’effacement de soi, la condition postmoderne avec les remous de nos sociétés d’aujourd’hui.
C’est ce cheminement que je propose aujourd’hui dans la pratique d’un zen séculier à l’écart des pratiques religieuses communautaires ainsi que dans l’accueil de maîtres et de groupes qui ont chacun leur objectif et leur spécificité tout en étant en accord avec la proposition de simplicité monacale, l’absence d’ostentation d’un lieu qui permet de se retourner vers l’intérieur et de ré-considérer ses valeurs (le zen, la pleine conscience et le yoga en étant les thèmes prépondérants).
On vient en général à la méditation dans un dojo par une nécessité intérieure. par une sensation de malaise, de mal-être de souffrance, d’incomplétude ou d’aspiration vers autrechose. On se heurte à des obstacles qui semblent infranchissables et on entreprend un voyage, on choisit une voie …
La nouvelle intimité que l’on découvre avec soi-même enthousiasme ; les pensées prégnantes et douloureuses, les interactions toxiques perdent de leur pouvoir. Elles sont moins nuisibles qu’avant et on voit poindre une autre manière d’être.
Les rencontres avec les autres sont déterminantes et la tentation est grande alors de s’en remettre à un maître pour aller plus loin. Si la voie que vous avez choisie est la voie du zen et que c’est l’exemple du Bouddha qui vous y a conduit(e) vous constaterez vite que le bouddhisme est devenu une religion, avec son clergé et ses hiérarchies, dont les pratiques de vénération, de mérites et d’idéalisation sont souvent très éloignées du message d’origine. Il est difficile donc de méditer sans s’inféoder, de suivre sa propre voie au milieu des autres dans le respect d’une transmission bien évidemment.
C’est un chemin où tout est paradoxe, où le bon sens et l’éclat de rire qui se moque des postures sont indispensables !
Pour conclure une citation de Jacques Brosse au Moulin de Vaux en 1994
« Finalement le véritable enseignement du zen c’est le silence. Dans l’ensemble du bouddhisme on parle de l’enseignement silencieux du Bouddha alors qu’on sait, historiquement, et que ceux qui emploient cette expression le savaient, le Bouddha a prêché pendant quarante ans dans tout le Nord de l’Inde, il n’a jamais arrêté de le faire. C’est le paradoxe même. Son enseignement final est un enseignement silencieux. C’est ce qu’on dit dans toutes les écoles. Et encore plus dans le zen puisque vous savez que l’origine du zen c’est l’enseignement silencieux du Bouddha qui montre une fleur qu’il tord dans ses doigts, qu’il fait rouler dans ses doigts et seul un disciple comprend la leçon. Tout ce qu’on peut dire doit être entièrement dépassé, ce sont des jalons. Des indications. On ne peut pas contenir le bouddhisme et encore moins le zen dans des mots. D’ailleurs dès l’origine du Chan, l’enseignement attribué à Bodhidharma parle d’un enseignement par-delà les mots. C’est pourquoi des livres sur le zen ne peuvent être que des incitations à la pratique, une première idée du pays qu’on va découvrir en zazen, rien de plus. Et les livres qui prétendent le contraire, ou qui prétendent vous expliquer, vous apprendre, le bouddhisme, simplement par la lecture d’un livre sont des livres finalement malhonnêtes. »