Mots clé : kusen, le silence, dévotion, spiritualité
Commentaire :
Jacques Brosse précise à juste titre que la dévotion, qui transforme le message du Bouddha en religion est plus facile que l’approfondissement de sa propre vie intérieure. Il insiste aussi sur la valeur du silence qui court-circuite le mental, sur l’intérêt des rencontres et de la variété des approches. La pratique du zazen y est centrale pour que notre terrain soit favorable à notre maturation.
Maître Deshimaru disait souvent l’enseignement, le kusen, vous n’avez pas à l’écouter, mais seulement à l’entendre, comme un bruit de fond, vous n’avez surtout pas à l’enregistrer. C’est comme une graine, qu’on jette. Dans l’Évangile, on emploie cette métaphore, le Christ lui-même l’emploie, il sème, il lance la semence, si elle tombe sur un terrain aride, rocailleux, elle ne lèvera pas. Mais celle qui tombe sur un terrain fertile, humeux, celle-là lèvera. Hors, Zazen c’est une préparation du terrain, pour recevoir une semence. Mais cette semence, elle se logera dans la terre, elle disparaitra. Et un jour la plante sortira. C’est une métaphore qu’on peut très bien employer pour l’enseignement du zen. Vous recevez des semences, ne vous en préoccupez pas. Ne réfléchissez pas à. N’en tirez pas des conclusions avec votre mental. Laissez les choses se faire toutes seules. Par la pratique, ces graines lèveront d’elles-mêmes. Elles seront incorporées au terrain, elles ne resteront pas dessus, c’est leur condition de germination. La germination, ça sera l’affaire de la pratique. Parce que cet enseignement que vous recevez en zazen, il peut pour certains être bouleversant et même dangereux. Il ne faut pas y adhérer comme ça par principe. Il faut que ça passe par votre propre expérience, donc par votre pratique. Parce que dans le zen on vous apprend à ne vous appuyer que sur vous-mêmes. Dans le bouddhisme, chaque être est responsable entièrement de son destin, et même comme vous l’avez vu de sa renaissance. Le karma n’est pas une détermination absolue, c’est un fil conducteur, rien d’autre. Ça peut être une détermination, donc un emprisonnement, mais zazen, précisément, libère du karma, vous met en face de vos propres responsabilités, vous donne la possibilité de choisir en toute lucidité, c’est dans ce sens qu’on peut dire que l’enseignement pour certains peut être bouleversant et dangereux. Ils n’en demandent pas tant. Zazen n’est pas un refuge, c’est tout le contraire. Je dirais même que, pendant un moment il peut être plus difficile de vivre avec l’enseignement que sans. C’est plus facile de vivre dans l’ignorance que dans la clarté de la lucidité. Mais c’est un choix à faire. Parce que seulement dans la clarté de la lucidité on vit vraiment son existence. Autrement, effectivement, on vit en aveugle. Et si on vit en aveugle, ça veut dire qu’on n’a rien compris et que karmiquement, il faudra recommencer l’expérience qui est ratée, incomplète. Donc se délivrer de l’existence, c’est avoir réellement vécu l’existence, ce n’est pas une échappatoire. Je pense même, en tant que pratiquant du zen, que c’est presque impossible sans zazen ou quelque chose qui correspond. La méditation est le fin mot de la spiritualité et d’une conception juste de la vie. Dans le christianisme c’est à peu près la même chose. Le côté dévotionnel, le côté extérieur a tendance à l’emporter parce que c’est plus facile, sur la vie intérieure. A ce moment-là on est dans un système de rétribution, on a mal fait, on est puni, on a bien fait, on est récompensé. A la limite, c’est le ciel, l’enfer et cette invention très postérieure au ciel et à l’enfer et qui n’est pas admise partout, le purgatoire. Dans le bouddhisme il y a aussi un paradis et il y a aussi un enfer. Si on poursuit la connaissance du bouddhisme, les deux existent. Avec cette immense différence que le paradis ni l’enfer ne sont perpétuels, ne sont éternels. Donc l’enfer bouddhiste Naraka, correspondrait à ce qu’est le purgatoire, c’est-à-dire un lieu de purification. En revanche le paradis comme on le montre dans la roue Bavadshakra, dans la roue des cycles, des six secteurs, des six possibilités que nous avons, ce paradis est un paradis qui ressemble un petit peu au paradis de Mahomet, en moins caricatural, on y fait de la musique, on y est heureux, on y mange des choses merveilleuses sans avoir jamais d’indigestion. C’est très humain. Seulement si on va dans cet endroit, c’est parce qu’on a suffisamment de karma positif pour y aller, mais il vous reste du karma négatif, ce qui fait qu’une fois qu’on a fini son temps de paradis en karma positif, on dégringole jusqu’en bas, un peu comme dans le jeu de l’oie, on va passer un petit moment en enfer pour se purifier du karma négatif. C’est très naïf comme vue, c’est une vue tibétaine qui est faite pour une population un peu fruste, bien sûr que pour nous, c’est plutôt des images dans le zen, on ne croit pas à la réalité exacte de ces choses, ou plutôt les six états définis dans le bouddhisme, c’est-à-dire, le paradis, les Deva, l’homme, l’animal, les Trépassés Faméliques, qui sont des malheureux qui ont toujours faim parce qu’ils ont convoité dans leur vie, les Enfers et les Asura, c’est-à-dire les Titans, correspondant… à la… Ceux qui se révoltent contre le dharma, ce sont même pour les bouddhistes tibétains évolués, ce ne sont pas des états extérieurs et successifs, ce sont des états que nous vivons dans la vie quotidienne. Il y a des gens qui se conduisent dans la vie quotidienne de l‘Asura, en dominateur, en guerrier. Il y a des gens qui se conduisent comme des hommes et ceux-là ce sont évidemment les meilleurs, il y a aussi des hommes qui se conduisent comme des bêtes. Etc., etc. Ce sont donc des états plutôt qu’une géographie. Donc il y a aussi la notion d’en fer et de paradis, mais vous voyez à quel point elle est limitée dans ce cycle. Mais dans un cas comme dans l’autre, le zen, le zazen la méditation bouddhiste sont prévus en somme pour dissiper le karma, l’illusion du karma. Maitre Deshimaru disait, zazen, ça consomme beaucoup de karma. Donc ça veut dire beaucoup de karma, beaucoup de déterminisme. Vous de moins en moins déterminés, de plus en plus libres. Vous avez de plus en plus de choix et de faire le bon choix. C’est une manière d’écarter l’ignorance qui comme vous l’avez lu est à l’origine de tout le processus. Mais encore une fois il ne faut pas aller trop vite, il ne faut pas vouloir tout comprendre d’un coup, il faut comprendre avec son corps. Ce qu’on appelle le satori, ça n’existe, il peut y avoir en effet une lueur, un moment où on a l’impression qu’on comprend, mais tant que tout le corps lui-même n’est pas informé, jusqu’à chaque cellule du corps, de cet éveil, l’éveil est encore potentiel. Pour prendre une image de nos civilisations, enfin de nos concepts actuels, comme les cellules se renouvellent en principe entièrement tous les sept ans, ça veut dire que votre satori vous ne l’aurez que dans sept ans, même si vous croyez l’avoir maintenant. Ça demande de la patience, une maturation. De même dans la nature, d’ailleurs, rien ne se fait sans une lente maturation. La graine qui germe maintenant elle a été semée à l’été ou en automne. Elle a passé un long temps en terre sans bouger, apparemment, sans qu’il ne se passe rien. Il a fallu l’action de l’eau, du soleil, de la lumière pour qu’elle germe. Donc nous qui sommes proches de la nature puisque nous ne sommes pas différents d’elle, il faut aussi suivre ses leçons. Ce sont des leçons d’existence, justement. Et vouloir forcer le processus, c’est aboutir à plus ou moins des catastrophes. Seulement aussi, il faut faire confiance, ce qui vous arrive en zazen, il faut d’une certaine manière y croire puisque c’est expérimenter. Du moment que vous êtes entré dans un dojo, que vous avez pris la posture, vous êtes déjà sur la voie. Vous y marchez. Il ne faut pas non plus sous-estimer, il ne faut pas non plus se désoler. Vous êtes déjà arrivés puisque vous êtes partis.
Finalement le véritable enseignement du zen c’est le silence. Dans l’ensemble du bouddhisme on parle de l’enseignement silencieux du Bouddha alors qu’on sait, historiquement, et que ceux qui emploient cette expression le savaient, le Bouddha a prêché pendant quarante ans dans tout le Nord de l’Inde, il n’a jamais arrêté de le faire. C’est le paradoxe même. Son enseignement final est un enseignement silencieux. C’est ce qu’on dit dans toutes les écoles. Et encore plus dans le zen puisque vous savez que l’origine du zen c’est l’enseignement silencieux du Bouddha qui montre une fleur qu’il tord dans ses doigts, qu’il fait rouler dans ses doigts et seul un disciple comprend la leçon. Tout ce qu’on peut dire doit être entièrement dépassé, ce sont des jalons. Des indications. On ne peut pas contenir le bouddhisme et encore moins le zen dans des mots. D’ailleurs dès l’origine du Chan, l’enseignement attribué à Bodhidharma parle d’un enseignement par-delà les mots. C’est pourquoi des livres sur le zen ne peuvent être que des incitations à la pratique, une première idée du pays qu’on va découvrir en zazen, rien de plus. Et les livres qui prétendent le contraire, ou qui prétendent vous expliquer, vous apprendre, le bouddhisme, simplement par la lecture d’un livre sont des livres finalement malhonnêtes. Ce sont des livres d’universitaires, ce ne sont pas des livres de bouddhistes. Cependant, maitre Deshimaru, et on l’a un peu oublié, parmi les disciples, je m’en souviens très bien et ils se le rappellent forcément, ils n’ont pas pu l’oublier, disait, dans son langage pittoresque à lui : « A vingt ans, quatre-vingt-dix pour cent de zazen dix pour cent de lecture. A trente ans, quatre-vingt pour cent de zazen, vingt pour cent de lecture, et il arrivait à soixante-dix ou quatre-vingt ans où il y avait dix pour cent de zazen pour quatre-vingt-dix pour cent de lecture. C’était évidemment schématique. Ça voulait simplement dire qu’au fur et à mesure qu’on progresse sur la voie, on peut, à ce moment relire et lire avec profit ce qu’on a lu comme une information. Alors effectivement il importe d’approfondir l’enseignement, ce que nous ne pouvons pas faire tout seul non plus. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, il ne faut pas lire des livres sur le zen avant de faire zazen ou « comme ça », mais il faut en lire après, quand on a fait zazen, quand on a sa propre expérience. Parce que à ce moment-là, tout change. Tout devient intéressant ou important pour le parcours qu’on fait. Et ce serait une erreur aussi de dire rien que zazen. Au départ il ne faut rien que zazen, mais Maitre Deshimaru le précisait, il faut nourrir, entretenir son zazen. L’entretenir de l’expérience de tous les autres qui nous ont précédés, spécialement des patriarches et des maitres. Avec la diversité en plus. Parce que ce qui est important dans l’enseignement classique du zen, c’est la diversité des enseignements et des personnages ; c’est toujours le zazen à travers une autre personne présenté sous une autre forme. Et c’est la richesse même de ces différentes vues sur le zen qui permettent de comprendre l’essence du zen. Mais ça c’est seulement quand on a vraiment de la pratique soi-même. Et c’est normal puisque l’enseignement n’est pas fixé, il est ajusté aux besoins de l’époque, au besoin de l’auditoire particulier. Il est toujours identique et toujours dissemblable. C’est justement parce qu’il n’est pas fixé dans les mots. Il n’est pas verbalisé. Il n’est surtout pas fixé par l’écriture. Il change, suivant les besoins de chacun. C’est toujours l’enseignement du Bouddha cependant.
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