La foi

Mots-clés :  Foi, esprit nouveau

Commentaire :

Cette foi dans l’expérience du Bouddha que l’on salue en entrant dans le dojo, qui n’est pas une croyance car elle est ressentie, grandit petit à petit et est nécessaire et fondamentale. Elle me fait aussi penser à la fleur qu’il tend à Mahakasyapa et qui concentre en elle toute la magie de l’univers.

On ne peut pas aller bien loin sur la voie, on ne peut pas pratiquer avec profit, même zazen, si l’on n’a pas la foi. J’en ai parlé le mois dernier au Dhagpo, comme il y a une seule personne présente qui y ait assisté, je reprends cette notion qui me semble de plus en plus fondamentale et qui est assez bien accueillie maintenant parce que les pratiquants du zen ont évolué considérablement depuis que j’enseigne. Cette foi, il faut tout de même la définir, ce n’est pas du tout la foi que nous avons appris à connaitre à travers le catholicisme, le christianisme en général, ou, je dis toujours, les monothéismes. Parce que dans chacune de ces religions, il y a un canon de doctrines qui sont les bases mêmes de la foi, il faut adhérer à ces articles, si je puis dire, comme un code pour être considéré comme ayant la foi. Bien sûr que la foi est préalable au dogme, et c’est de cette foi préalable au dogme qu’on peut parler à propos du bouddhisme et du zen en particulier. Comme vous devriez le savoir, le bouddhisme est une religion expérimentale, ce qui la distingue de toutes les autres. Expérimentale puisque le Bouddha lui-même l’a dit, « vous n’avez pas à croire ce que je dis, parce que je suis votre maitre, vous avez seulement à l’expérimenter par vous-mêmes ». Ce sont des paroles du Bouddha qui semblent tout à fait authentiques, elles sont reproduites dans beaucoup de sutras et toute la succession bouddhiste a reconnu l’importance de ce langage du Bouddha. Donc fondamentalement ce que vous faites, c’est une expérience personnelle. Cependant, au cours de cette expérience, il peut arriver des phénomènes qui vous surprennent, et des idées peuvent vous venir que vous pouvez et que vous devez mettre en doute. Donc au bout de quelques temps, la question de la foi va se poser, c’est-à-dire de la confiance dans l’expérience même du zazen. Quelle confiance peut-on faire à l’esprit nouveau qui se manifeste en zazen ? Est-ce que ce n’est pas une illusion de plus ? C’est évidemment difficile par soi-même de le savoir… C’est la raison profonde de l’enseignement des instructeurs ou des maîtres. L’instructeur ou le maître peut seul discerner ce que vous ne pouvez pas discerner vous, entre ce qui est pure illusion et ce qui peut être quelque chose qui ressemble un peu à un petit éveil. Pourquoi ? Parce que lui est passé devant, parce que lui connait ces choses. Il est en somme expert en éveil, si je puis dire. Il peut facilement vous dénoncer les fantasmes, les illusions. Il y a même des phénomènes physiologiques qui peuvent se produire qui vous semblent singuliers. Il peut vous dire, « ça c’est important, ça ? ça n’a aucune importance, ça ne veut rien dire, c’est purement un truc qui vous a traversé l’esprit… ». Ou alors « et bien là, en effet, vous avez acquis quelques chose ». Donc il y a besoin d’une espèce de contrôle, de même qu’il y a besoin d’un contrôle de la posture, parce que, comme je l’ai déjà dit, vous n’avez pas de rétroviseur, quand vous faites zazen tout seul. Donc vous ne savez pas comment vous êtes placé de dos. C’est un peu du même ordre. Donc cette foi, elle doit exister. Si vous vous dites que tout ce qui vous arrive est illusion, alors il vaut mieux ne pas faire zazen, il faut trouver autre chose. Mais si vous ne savez pas faire le partage, alors là les moines anciens, ou les enseignants sont là pour vous renseigner vous-même, si vous en éprouvez le besoin. Mais cela dit, cette foi est fondamentale et en définitive on s’aperçoit qu’il n’y a pas de vie, d’élan vital sans foi, si on examine bien les choses. Donc ce n’est pas une foi aveugle, c’est tout juste le contraire, c’est la fin de l’ignorance. La reconnaissance de l’authenticité de l’expérience à travers le zen. La reconnaissance progressive d’un relatif changement d’orientation, comme si vous bougiez un tout petit peu, de quelques minutes d’arc de cercle et qu’à la fin peut-être vous allez complètement vous retourner. Ce n’est pas une illusion et je citais cet exemple, je l’ai dit à l’un d’entre vous tout à l’heure et je le cite souvent parce que pour moi il a été une révélation personnelle, c’est comme de regarder un coucher de soleil à l’envers, c’est à dire en regardant la tête en bas entre les jambes. Parce que là vous voyez vraiment le coucher de soleil que vous ne voyez plus. Vous le voyez avec ses couleurs éclatantes, son aspect de wagnérien, si je puis dire. Son côté presque fin du monde prodigieuse. Un incendie cosmique. Et vous voyez les couleurs telles qu’elles sont alors que vous ne les voyez plus dans la vie courante parce que vous avez l’habitude du coucher de soleil. Même si, étant attentif, vous considérez déjà qu’il est différent tous les soirs. C’est une grande merveille qu’un coucher de soleil quand vous le voyez véritablement. Je dirais même que c’est une grande merveille de regarder le coucher de soleil tous les soirs et de s’apercevoir qu’il est différent, ce soir ce ne sera pas fameux parce que le temps est couvert, donc, ne faites pas trop d’exercice, vous seriez déçus. Donc c’est simplement que c’est déconcerter, en somme, l’habitude de la vision qui peut procurer une vision nouvelle, éclatante, et de l’ordre de la révélation. Je le dis parce que c’est comme un symbole de ce qui se passe en zazen. Vous pouvez, en une sesshin, voir les choses complètement différemment, parce que le zazen développe l’attention. L’attention au monde, l’attention aux autres, et vous distrait de l’attention excessive que vous portiez à vous-même, c’est dans cette mesure que le moi se délite. Nous faisons beaucoup trop attention à nous. Donc ça nous obstrue la vue, c’est ce qu’on appelle des samskaras, et comme vous l’avez vu, la production conditionnée interdépendante, les samskaras arrivent avant la formation de la conscience, donc obscurcissent déjà la vue que vous pouvez avoir de la réalité. Le zazen c’est en effet ça brûle du karma, et surtout ça fait disparaitre les samskaras. Comme dans l’histoire du coucher du soleil. Vous ne voyez plus le coucher du soleil à travers l’habitude, à travers les idées que vous vous faites du coucher du soleil, vous êtes en face du véritable coucher de soleil. Et faites l’expérience, vous verrez à quel point la différence est grande. C’est donc que vous n’y voyiez plus rien, vous aviez une taie sur les yeux. Ce n’est pas que vous n’ayez pas les organes en question pour percevoir cela, mais vous ne saviez plus vous en servir, c’est émoussé par l’habitude. Si vous êtes attentif, tout change. Et le zazen développe prodigieusement l’attention. Je suis sûr d’ailleurs que plus ou moins vous avez éprouvé en faisant cette promenade, que vous considériez d’une autre manière les choses qui vous entouraient. Vous étiez plus attentifs. Aux fleurs que vous avez rencontrées, même aux vaches que vous avez vues, vous communiquiez davantage avec le monde extérieur.  C’est aussi simple que ça, hein… Vous n’êtes pas obligés de faire de la vachotrempie (?) je ne sais pas comment on peut dire… Mais enfin il n’y a pas qu’avec les vaches que vous avez communiqué, n’exagérons pas. Peut-être vous n’avez pas senti, mais vous le sentirez plus tard, cette façon d’être en somme libres de regarder. Plus obsédés par le petit ronronnement habituel. Ça vient progressivement. Ça ne se défait pas tout seul, ça ne se défait pas immédiatement. Alors c’est là que je veux en venir avec la foi, parce que si vous avez cette attention, vous retrouverez une foi dans la beauté du monde, dans sa perfection, dans son fonctionnement, où il y a bien sûr des à-coups comme dans la vie humaine et vous serez pleins d’un émerveillement qui était là et dont vous ne saviez même plus qu’il était là. Tout devient source d’émerveillement, d’étonnement parce que vous considérez les choses avec un regard neuf, comme si vous le perceviez pour la première fois. Alors là, effectivement, on a confiance, on se rend compte qu’on n’est pas dans l’illusoire, et que c’était peut-être l’illusoire qui était avant, que ce que vous croyez être réalité était réellement illusion, et que vous percevez maintenant, partiellement au moins, la réalité, la vraie.

Maitre Dogen exprimait ça dans différents poèmes. Notamment un à propos du chant d’oiseaux. « Cette voix me parle, maintenant tout me parle ». …

CENTRE ZEN DU MOULIN DE VAUX