Lien karmique

Mots-clés : lien karmique, folie, le vécu, réincarnation

Commentaire :

 Jacques Brosse éclaire la pratique de zazen au regard de son parcours de psychanalyste, d’expérimentateur du LSD, de ses voyages et de ses nombreuses expériences psychiques et aussi de ses rencontres avec les écrivains de son temps.

 

 

Q : Est-ce que vous pouvez expliquer simplement ce que signifie avoir un lien karmique avec quelqu’un ?

 

JB : Simplement non… Simplement non… A titre individuel peut-être, un cas d’espèce, mais en général comme ça… Parce que ça entre dans tout un processus qui peut se mentaliser très bien, de vies antérieures, où les deux se seraient rencontrés, et ça ne se serait pas passé de façon satisfaisante et c’est reparti dans une autre vie… Ça ce sont des suppositions… Mais qu’on sente qu’on a un lien karmique avec quelqu’un, je pense que ça arrive assez souvent et puis on fait du zèle d’ailleurs. Mais vouloir le préciser, l’expliciter, ça peut être dangereux. Parce que quand on pense à des vies antérieures, d’abord on n’arrive pas à se retrouver puisque c’est un individu différent de nous déjà. Il ne faut pas penser qu’on a été ce qu’on est maintenant dans une vie antérieure, du point de vue bouddhiste… Donc, vouloir inventer une vie antérieure à l’aide de vagues réminiscences… on tombe dans un roman qui souvent est de très mauvaise qualité. J’ai dirigé une collection où entraient des livres de ce genre, qui montraient des expériences psychiques, autrefois, et j’ai reçu des quantités de récits… La quantité faisait que j’avais forcément un doute ! Alors ça tournait toujours autour de la même histoire : une femme, ou un homme avait été Marie-Antoinette, ressentait encore le couperet de la guillotine, donc ça le bloquait vis-à-vis de la société… rires… Tel autre avait été Grand Inquisiteur au moment des Cathares, donc il avait condamné des gens à être brûlés, effectivement son fils avait eu un accident de moto et avait brûlé avec sa moto… Non mais c’est vrai, ce que je dis c’est vrai ! Donc c’était un peu délirant ! Et évidemment très dangereux ! Parce que les souvenirs de vies antérieures, ça peut arriver, on ne peut pas nier qu’il y ait quelque chose qui se produise, mais il ne faut surtout pas reconstruire cette chose. C’est pourquoi le lien karmique, on peut dire qu’en effet on le ressent avec une personne et l’autre personne peut aussi le ressentir de son côté, mais qu’est-ce qu’on peut en tirer comme conclusion ? … C’est à soi-même à apprécier… et est-ce que ça sert à quelque chose ? La croyance aux vies antérieures ne sert à rien ! Qu’à faire des conférences dessus… Ça ne sert à rien ! Cela dit, il ne faut pas non plus le nier… si on a l’impression de réminiscences… Je pense d’ailleurs que les réminiscences des vies antérieures, c’est assez fréquent chez les enfants, il y a eu des cas fameux, vous le savez, les journaux en ont même parlé. Et je connais autour de moi des enfants qui visiblement se rappellent quelque chose, mais ils ne savent pas très bien quoi… Ils ne peuvent pas dire eux-mêmes, mais les parents ou les observateurs peuvent dire qu’il se passe quelque chose qui est déterminé par quelque chose d’avant, c’est vrai… Mais ça s’efface, heureusement ! Parce que sinon, « j’ai telle chose à faire parce que je ne l’ai pas fait avant, ou j’ai fait mal dans une autre vie, ou j’ai à faire quelque chose de dégueulasse que je n’ai pas fait et que je dois faire maintenant… rires… là vous êtes complètement déterminés, hein !  C’est ce que disent les maitres du zen d’ailleurs, c’est ce que disait Deshimaru, « si vous avez à tuer vos pères et mères, faites-le le plus tôt possible ! ». Parce qu’après vous aurez fait un crime abominable, mais vous n’aurez plus à le faire ! Nous avons tous, dans l’histoire karmique, bon, c’est presque caricatural, parce qu’il faut de l’humour dans le karma, parce que si on prend ça au sérieux c’est très dur, hein… on a tous été prostitués, on a tous été criminels, dealers, tout ce qu’on veut, quoi ! Peut-être roi, très probablement mendiants, mais c’est déjà avenu, ça, c’est déjà fait, ce n’est pas la peine de recommencer ! Avant d’être un Bouddha, là on est tranquille, il n’y a plus rien après ! On est sûrs de ne plus se réincarner. Visons plus haut alors si ça nous tente, bon, mais il y a des risques, on se dit « maintenant moi je veux être président de la république ! » … Alors ça veut dire qu’on se réincarne avec cette idée là … rires …ce n’est pas facile ! Pour le Karma, ce n’est pas forcément très bon ! Franchement, karmiquement, ce n’est pas formidable… Je vous fais rire et je suis content que vous riez, parce qu’il faut aussi se détacher d’un certain sérieux, d’un certain pesant, justement le mental qui travaille autour de ça et ça devient extrêmement malsain… Très très malsain… Enfin si quelqu’un m’apporte la preuve qu’il est le même qu’avant, je veux bien ! Des questions ?

 

Vous acceptez les photos pour la preuve ?

 

Les photos plasmiques… Si, il y en a eu, on a photographié comme ça des esprits, ça traine dans toutes les revues parapsychiques et autres ectoplasmes, qui étaient Marie-Antoinette, comme par hasard ! Généralement, ils sont très distingués, c’est vraiment la crème (… rires…) Seulement moi j’étais à Sainte Anne quelques jours et j’ai rencontré des tas de gens qui avaient des vies antérieures passionnantes. Mais il y en avait un, là c’était très visible, il avait une vie antérieure de pendule non mais d’horloge, de grande horloge ! Alors réellement, ça j’ai vu ça, il était là avec son bras immobile à longueur de journée… On lui donnait son calmant, il continuait, qu’est-ce que vous voulez ? On ne pouvait rien faire d’autre, je ne sais pas s’il dormait. Ça devait poser des problèmes pour lui. Il ne devait pas être au courant. Donc on peut avoir été pendule. J’ai rencontré une pendule ! Une autre question ?

 

A la suite de ce que vous avez dit, que faire de ce qu’on ne peut défaire ?

 

Ça se défera tout seul ! Le zazen c’est l’instrument pur défaire les nœuds tout seul, c’est breveté, hein ! Nous avons tous des nœuds et on s’aperçoit que si, vous savez bien, quand il y a un nœud vraiment très très serré, quasiment plus vous le tripotez, plus vous le serrez, plus il est indéfaisable. Ça peut arriver ça dans la vie, donc à ce moment-là il faut couper, c’est la seule solution. SI vous ne pouvez pas défaire le nœud tranchons-le, c’est la solution héroïque, c’est pas facile de trancher un nœud… Cela dit en zazen, vous vous apercevrez que ce sont des nœuds imaginaires, ce sont des nœuds mêlés de votre karma, de votre mental, des trucs comme ça et que vous vous imaginez qu’il y a un nœud et il n’y en a peut-être pas. Ou bien je ne m’en occupe pas et ça s’arrangera tout seul, mais à condition de faire zazen, il faut l’aider un peu à se défaire ce nœud. Normalement ça devrait s’arranger. Écoutez, de toute façon supposons qu’il y ait ce nœud et vous n’y croyez pas, essayez, si ça ne marche pas, trouvez une autre méthode.

 

Et notre vécu n’entre pas en jeu ?

 

Mais on ne fait que ça ? On travaille sur le vécu, sur quoi travaillerait-on d’autre ? Quelle différence entre vécu et zazen ? Tu parles des nœuds créés par le vécu ? Ils peuvent se dénouer tout seuls par le zazen, si tu ne t’en occupes pas quasiment, tu vois ? Seulement évidemment je sais que tout ça c’est absurde si on n’a pas confiance. On peut le faire à titre expérimental, se dire, bon, ce nœud, je ne m’en occupe pas, je n’arrive pas à le dénouer moi-même, ou alors tranchons le !

 

C’est bien pour tous ces gens qui sont à Sainte Anne 

 

JB : Bien sûr c’est très bien pour les gens de Sainte Anne, par exemple. Oui enfin là, il ne faut pas non plus penser que le zazen c’est une psychothérapie.

 

C’est pourtant apparemment thérapeutique ?

 

JB : C’est thérapeutique mais il ne faut pas le prendre comme une psychothérapie. Si vous avez besoin d’une psychothérapie, faites une psychothérapie ! N’essayez pas d’échapper, seulement évidemment quand on fait une psychothérapie, il faut savoir ce qu’on soigne, il faut comprendre qu’on a une névrose profonde, un truc comme ça qui vaut la peine de dépenser un fric fou et que ça dure des années, et puis parfois ça peut être aussi catastrophique. Je sais, je suis psychanalyste, j’ai fait ma psychanalyse, j’en ai fait une didactique, donc je peux … je n’ai jamais vraiment traité sauf en analyse de contrôle, mais je sais comment ça se passe et je sais aussi les limites, le caractère indispensable dans certains cas. Un névrosé très fort, il faut qu’il y passe, et ce n’est pas par zazen qu’on lui garantit qu’il peut guérir une névrose. Une petite névrose, en effet c’est possible… Mais nous sommes tous névrosés, n’est-ce-pas ? C’est comme les gens qui découvrent qu’ils ont un Œdipe, mais qui est-ce qui n’a pas d’Œdipe, non mais c’est vrai ! A la limite, maintenant ce n’est plus possible, alors il ne faut pas non plus s’inventer des névroses que tout le monde a ! C’est une névrose d’exister, alors là on le voit. Le fait de l’existence même est névrotique, puisque vous vous séparez de l’être pour vivre de votre propre vie autonome. Ex sistere, se tenir debout, dehors. Alors tout est névrotique. Ce genre de névrose là, bien sûr que le zen s’en arrange très bien. C’est fait pour ça. Les autres qui relèvent du milieu clinique, c’est le milieu clinique qui peut les soigner. Mais j’ai eu un exemple, nous avons eu un exemple d’avoir fait faire des zazen à des gens considérés comme des fous, voilà c’est arrivé. J’ai accepté un type qui était en asile psychiatrique, qui avait eu l’autorisation de venir faire zazen, et on m’a dit « fait attention, il y a un type qui est là, on ne sait pas ce qui va se passer ». On me l’a montré et j’avoue que je l’avais un peu oublié parce qu’il y avait beaucoup de monde, et puis en faisant mon tour avec le Kyosaku, pour voir comment sont les gens, je me dis, mais qui c’est ? Il y avait 20 ou 25 personnes et je me dis, mais qui c’est le fou ? (rires). Ils avaient des bonnes postures, il n’y en avait pas qui avaient des tremblements nerveux… Alors le temps passe et je n’ai pas pu savoir qui était le fou. Et c’est en début d’après-midi, au moment où on avait dit « s’il y a des gens qui veulent voir Jacques, après le café ? » je vois entrer un type qui ouvre la porte, qui referme la porte et qui dit, « le fou, c’est moi ! ». Je lui dis, « qu’est-ce que tu veux dire au juste ? On est tous fous ici de toute façon ». Alors bon, il a pris un petit air un peu rigolard quand même, il a compris qu’il valait mieux plaisanter, ce n’est pas si grave, mais il a expliqué « non moi je suis un vrai fou parce que d’abord je suis en hôpital psychiatrique et mon médecin soignant m’a dit que je pouvais essayer ». Et puis finalement il a fait zazen avec nous toute la journée, il est rentré le soir. Alors le soir il est quand même venu me trouver. Il avait une bonne posture, ça marchait bien, il n’avait aucun signe extérieur de sa folie. Alors après quand il est venu me dire au revoir. Je lui dis « écoute, tu dis à ton professeur Untel, que vraiment tu ne dois pas être loin de la guérison parce que tu ne pourrais pas faire zazen comme tu as fait ». Il était fou de joie, les larmes lui coulaient. (rires) Je crois qu’en effet, il devait être très près de s’en aller. Mais cela dit, c’était émouvant de savoir qu’il y avait un fou dans la salle, si je puis dire et de ne pas pouvoir voir qui c’était ; c’est troublant ! On a eu des névrotiques, on a eu des drogués aussi, vraiment des très très grands drogués, ça arrive et finalement ce qui est curieux c’est que souvent ces gens-là font très très bien zazen. Alors vous voyez, c’est fait pour tout le monde. Si vous ne le faites pas c’est peut-être que vous n’êtes pas assez fou…  Une autre question ? …. Qui est le fou ici ? Il doit y en avoir un de service, il y en a toujours… Ça doit être moi !

CENTRE ZEN DU MOULIN DE VAUX