L’éveil

Mots-clés : éveil prosternations

Commentaire :

Repartir du Bouddha Shakyamuni pour bien comprendre que l’éveil est notre potentiel et qu’il vient de l’intérieur et ne pas le déifier par des histoires « pittoresques »

La première chose que fait le matin un maître pénétrant dans un dojo, c’est de se prosterner trois fois, sampaï, comme vous le faites pour la cérémonie. Mais devant qui se prosterne-t-il ? Non pas devant la statue du Bouddha qui est en face de lui, mais devant ou plutôt derrière les disciples, les pratiquants. C’est un geste apparemment paradoxal et qui a un sens très profond. Les pratiquants en posture, même celui qui pratique pour la première fois, est un Bouddha en puissance. Ce que salue le maitre, ce sont ces Bouddhas sur leur zafu. C’est la raison pour laquelle quand vous entrez, vous saluez d’abord votre coussin, les autres ensuite. Vous saluez votre coussin, c’est-à-dire celui qui va être assis sur ce coussin. Qui ne sera plus votre moi, qui sera le Bouddha, un bouddha et vous saluez ensuite les autres en tant que Bouddhas eux aussi. Ici dans ce dojo, il n’y a que des Bouddhas. Mais Bouddha ça veut dire quoi ? Simplement l’éveillé, l’éveillé d’un sommeil qui est la vie. La vie dans l’ignorance avidia. Dans la convoitise par ignorance. Un Bouddha a surmonté ses difficultés, il les a laissées derrière lui. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’est retiré du monde des hommes, bien au contraire. Mais il a choisi, c’est –à-dire que votre moi a choisi d’abdiquer au profit de ce héros. Quand je fais le tour du dojo derrière vous en entrant ou quand je donne le Kyosaku, ce sont des héros que je vois et je ne me force pas pour le voir, quand vous êtes en posture, surtout dans cette sesshin, vous êtes vraiment au plus haut de vous-mêmes.  Ça se voit, ça se lit. Mais qu’est-ce que ce Bouddha qui est en nous ? Qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Bouddha c’est l’Eveillé et Bodhi c’est l’instance suprême de la conscience. C’est l’ensemble qui correspond dans le yoga au Chakra suprême qui n’est même plus physiologique, qui est légèrement au-dessus de la fontanelle. Donc Bodhi c’est une instance qui peut ressembler à ce chakra qui est déjà par-delà l’individu, par-delà la physiologie qui serait le sommet de quelque chose qu’on pourrait appeler le corps glorieux.  Bodhi c’est la faculté d’éveil que nous avons tous en nous, qui est transcendante. Qui est directement en contact avec le Dharma. Avec l’ordre universel, l’ordre cosmique. Et c’est cela qui s’éveille en zazen, vous n’êtes plus les individus isolés et retranchés, vous communiquez avec l’univers entier. Prononcés ou lus ce ne sont que des mots. Prononcés dans un kusen, c’est une indication, une orientation, pour votre pratique, mais l’important c’est que vous sachiez, que vous soyez bien persuadés que ce Bouddha est déjà en vous, qu’il est prêt à l’éveil. Que c’est normal et naturel chez l’être humain. Ce n’est pas être mégalomane que de le penser, puisqu’en définitive, l’éveil ne peut engendrer qu’humilité et sérénité. Donc, n’ayez pas peur de ce Bouddha qui est en vous, qui est vous-mêmes beaucoup plus que vous. De même qu’il ne faut pas avoir peur de la grande lumière blanche au moment de la mort, comme le savent ceux qui ont le Bardo Thodöl. C’est la même chose. Seulement ce Bouddha qui est en vous, il n’est qu’en germe, je vous l’ai dit souvent, Tathagatagarba, germe de Bouddha, Tathagatagarba, c’est celui qui est descendu sur terre. Ce n’est donc pas seulement la reconnaissance de ce Bouddha qui est en vous, c’est la volonté de le faire croitre et en définitive de faire qu’il prenne toute la place et qu’il n’y en ait plus pour l’ego. L’ego sera toujours là. L’ego c’est ce qui vit, mais c’est ce qui meurt. Donc jusqu’à votre mort votre ego sera présent. Donc vous devez vous méfier… Ne croyez pas que vous êtes devenu entièrement des Bouddhas, ce ne sera possible qu’après, quand vous serez dégagés de cette condition. Mais c’est l’avenir que vous préparez, c’est votre éternité qui est en vous déjà. Et la meilleure de la faire croitre et prospérer c’est zazen. C’est-à-dire la posture dans laquelle un monsieur qui s’appelait Sâkyamuni, qui était un Boddhisattva, un futur Bouddha est devenu le Bouddha sous l’arbre Bô, à Bodh-Gayâ. Car il faut bien se rappeler que le Bouddha n’est pas né Bouddha, il l’est devenu, précisément en cet instant, de l’éveil. En tant que Boddhisattva, il était promis à l’éveil. Étant donné son karma, il était promis aussi à l’éveil. Mais il n’était pas éveillé. Il l’est devenu en prenant la posture qu’il nous a apprise, celle que nous prenons maintenant.

Cependant ce Bouddha qui est vous, ne vous en imaginez quand même pas qu’il va vous apparaitre. Tout doré avec ses petites boucles de cheveux bleus comme on le représente, qui ressemblent à des colimaçons, ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Le Bouddha était un seigneur de la frontière indo-népalaise Siddhârta Gautam devenu Sakyamuni, et en sommes vous n’avez rien à en faire. Sinon d’écouter cet enseignement et de vous dire que s’il vous convient de le suivre, c’est-à-dire d’essayer de faire comme lui pour voir si vous arriverez au même résultat que lui. Un point c’est tout. Alors ne fantasmez pas autour d’un Bouddha que vous allez rencontrer un jour, dans votre méditation, vous seriez profondément déçus. D’ailleurs Tozan, un maitre zen dit « si vous rencontrez le Bouddha tuez-le ! » parce que ça prouverait que vous n’avez rien compris. Ce que vous rencontrez, c’est vous-même. Vous-même, identique à ce que vous étiez auparavant et totalement différent. Parce que ce Bouddha vous ne pouvez finalement le construire qu’avec les matériaux que vous avez à votre disposition. Et ces matériaux c’est le moi. Le moi ce sont des matériaux mal ajustés dont on n’a pas su se servir. C’est qui « on » ? : vous, qu’il faut en somme à moitié détruire et reconstruire, mais c’est la même chose. Vous construirez avec vos qualités et vos défauts. Avec vos côtés négatifs et positifs, vous construirez avec le plein et avec le vide. C’est une reconstruction, mais il n’y a pas de matériaux étrangers ajoutés. Le Bouddha qui est en vous, c’est le moi purifié, transfiguré, métamorphosé, mais c’est quand même le moi. Donc n’allez pas chercher ailleurs, n’allez pas chercher au loin ce qui est là. Comme je vous le disais, parce que c’est Pâques, Jésus qui ressuscite du tombeau ressuscite avec son corps glorieux, pas avec son corps terrestre. Et il ressuscite tel qu’il s’est montré au cours de la transfiguration, dans le côté purement lumineux de sa gloire. Et c’est ce qu’il propose aux hommes, si on saisit bien le message. C’est notre propre transfiguration qui doit se produire, qui doit arriver à travers la méditation, à travers zazen, et c’est seulement transfiguré que nous pouvons passer les portes de la mort. Et finalement ce Bouddha qui est en nous, ce germe de Bouddha est la clé du Karma, c’est pourquoi on ne peut pas en parler, du Karma en dehors d’un dojo en donnant, quand vous savez qui vous êtes et ce que vous avez à faire avec vous-même. Ce n’est pas la peine d’en parler avant, ça ne veut rien dire. Il est la clé du Karma parce que c’est le lien qui unit ces existences différentes que nous n’avons pas vécues, puisque nous sommes moi actuellement, mais qui ont préparé notre existence présente. Le Bouddha l’a laissé entendre et ce sont créé ensuite des légendes sur le fait qu’au moment de l’éveil, il a retrouvé toutes ses existences précédentes et toutes les existences précédentes de tous les êtres. Il a vu en somme toute la genèse de lui-même et des êtres vivants. Depuis lors, on a créé évidemment les vies antérieures du Bouddha qui sont des textes pittoresques, naïfs, charmants, où le futur Bouddha témoigne d’une compassion de plus en plus grande, a été d’abord un misérable pécheur, un personnage dangereux, puis s’est purifié à travers ses vies, ce n’est évidemment pas le Bouddha qui a raconté ça, il était quand même assez discret sous ce rapport, c’était pour montrer la progression. Mais ce qui est remarquable et exemplaire c’est la leçon que ça donne car c’est quand même un Bouddha en puissance qui a vécu toutes ces vies successives, donc ce n’est pas un moi qui les a vécues, l’explication, le fil conducteur de l’histoire du Karma, c’est ce Bouddha en préparation, si je puis dire. Avec peut-on supposer, des avances et des reculs, ce n’est pas linéaire, avec des avancées et aussi des erreurs. On est obligés de repartir à zéro, donc c’est seulement par ce germe qui ne cesse de croitre et qui en somme s’incarne suivant l’état dans lequel il se trouve dans la vie précédente, c’est ça en somme, le Karma, autrement il est incompréhensible puisque on est bien obligés de dire quand on parle du Karma, « vous naissez, vous mourrez, un point c’est tout ». Donc ne parlez pas d’existences antérieures ou postérieures, ça n’offre pour un Bouddhiste aucun sens.  Mais on est bien obligés de dire, mais si vous pratiquez, vous vous apercevrez qu’il y a autre chose, une interprétation possible du Karma, c’est celle que je vous donne, bien entendu, c’est ce fil conducteur. Donc pour nous, peu importe ces vies qui ne sont que préparatoires, nous n’avons pas à les rechercher, sinon nous tombons dans des absurdités, mais cependant, nous pouvons comprendre que le Karma c’est justement cela, c’est-à-dire ce qu’il y a encore à faire pour que ce germe de Bouddha devienne le moi définitif qui n’est plus un moi, qui est transcendant et qui n’a plus besoin de se réincarner dans le Samsara. Là surtout ce ne sont pas des choses que vous avez à croire, c’est ce qu’enseignent les maitres, c’est ce qu’ils ont vécu, c’est leur propre expérience, qui est l’expérience du Bouddha Sakyamuni d’abord.  Et le maître ne peut jamais dire que : « voilà ce que j’ai fait ».

CENTRE ZEN DU MOULIN DE VAUX